C’est le cortège de Dieu. Celui qu’il a crée.
Au dehors c’était la lente procession du Soleil qui s’abaisse, seconde après seconde, fondant dans l’horizon et recouvrant le ciel de son feu sanguinaire : rouge, orange, jaune consumaient le firmament tel des coups de pinceaux saccadés et violents dans ce tableau brutal et barbare des ténèbres qui retrouvent alors leur trône. Et le Noir redevenait seul maître du monde, étendant ses bras effrayant pour faire régner l’obscurité, lâchant ses sujets Ombres qui dévoreraient la lumière et la ferait ployer. Subsistaient encore quelques clartés mourantes qui se mouvaient avec fluidité entre les moindres parcelles éclairées, attendant témérairement le renfort solaire du jour qui les ferait renaître. Au-dessus, les étoiles pourfendaient le ciel, tachant de leurs étincelles ardentes le corps immaculé de cette infinité noirâtre. Puis Lune entra dans l’arène, toute enveloppée de son voile argenté, abattant sa pluie de cendres qui recouvrirait le monde d’un monochrome tragique. Et tout ne fut plus que
Noir et Blanc.
Et l’univers continuait, entrainé éternellement dans ce temps cyclique qui rejoue sans cesse la même guerre insensé contre lui-même, la même symphonie sanglante, déchirant les tympans, déchirant l’âme, déchirant la vie même, pour que ne reste plus que les débris d’un monde effondré.
L’univers tout entier en tant que champ de bataille.
Tout n’est que guerre, suicide sanglant tachant le terrestre, humanité brisé dont les ruines jonchent encore le pavé de la réalité. Tout n’est que fragments déversés, sanglots brisés. Ah la mélodie du monde, déchirante et plaintive, n’attirera aujourd’hui aucune pitié. La lumière continuerait de fissurer les ténèbres, la nuit d’ensevelir le jour, le firmament d’enfermer les eaux, la mer d’envahir sur la terre, le monde de guerroyer contre le monde, ce monde qui veut s’abattre sur lui-même, cet équilibre instable qui tente de s’autodétruire.
Seules les plaintes d’Adam, des ces pauvres hommes chassés du paradis, emplissent au loin l’écho de la Terre, sanglots pitoyable aux notes relevées de tristesses que chacun chante au fond de son âme et qui leurs rappellent à tous leur nature édénique de laquelle ils se sont détournée.
Et il y a Eve.
La Reine Eve. Scarlett.Elle était Eve. Eve au milieu de son paradis, gracieusement étendue sous l’arbre de l’avidité, à tendre ses mains vers les fruits tout entier fait de luxure. Elle était Eve, attendant patiemment le serpent qui lui donnerait ce prétexte dont elle avait besoin pour atteindre enfin les germes de la connaissance. Elle serait celle qui succomberait la première, qui s’opposerait la première à sa Volonté, si sûre de son agir, si certaine d’un jour égaler les dieux. Egaler Dieu. Et elle continuait de sourire. Ce sourire provocant et supérieur qui fracturait son visage angélique.
Comme Logan avait pitié des personnes comme elle. Et lorsqu’il les voyait ces créatures, si satisfaites de leur propre arrogance, toutes amplis de leur fierté arriviste, il ne ressentait qu’une amer tristesse. Mais pas envers elle. Pas envers Eve. Parce qu’elle était Eve, il n’y que dégout. Il la repoussait. De tout son être. Elle le répugnait tellement.
– 00 : 48« J’ai failli attendre. »
Déception.
Il avait quarante-huit minutes de retard, cela ne méritait-il pas plutôt un : «
J’éclaterai ton crâne sur les murs pour les peindre de ta cervelle purulente. J’ouvrirai ton ventre pour en briser chacune de tes côtes, pour en arracher chacun de tes boyaux. J’enfoncerai mes ongles au sein de ton cœur pour le broyer entre mes mains. Je frapperai chacun de tes pauvres et futiles membres pour en extirper tout ton sang et que celui-ci abreuve le sol. Je disperserai ce qui restera de ton cadavre informe sur la terre pour que les vers dévorent la moindre parcelle de ta chair et que tu ne sois plus qu’un tas infâme de restes humains fétides. »
Mais un simple «
J’ai failli attendre. » pour Scarlett ça suffit.
Il fut déçu.
Il y avait une petite bougie, posée sur la table et qui faisait vaciller la lumière de la pièce, jouant avec les ombres, faisant mouvoir les ténèbres en une danse fluctuante et incertaine. Le feu dansait sur son promontoire de cire tentant de percer les ténèbres de sa maigre aura. Et dans cette danse confuse et si instable, la pièce prenait, à chaque mouvement de la flamme, un nouveau visage, parfois maléfique lorsque les ténèbres creusaient les ombres, puis apaisant lorsque la lueur se faisait plus forte, la chaleur plus intense.
Il faisait chaud. Un étouffement confiné. Une odeur de renfermé.
Logan fit quelques pas dans la pièce pour s’avancer vers la fenêtre la plus proche. Le reflet de la vitre lui dévoila son visage anormalement pâle, légèrement cireux. Ces mèches rousses s’entremêlaient, se collaient à sa peau lorsque le long de son visage, coulaient quelques gouttes de sueurs.
Tu as mis trop de poudre cette fois, Logan.Il haussa négligemment des épaules et ouvrit en grand la fenêtre. Il eut un petit déclic et la bise nocturne s’infiltra dans la salle commune. C’était un vent frais et vif qui mordit la peau de Logan tel un monstre impalpable dévorant la chaleur. Il emporta d’une légère rafale l’unique source de lumière de la pièce et l’odeur de nuit reprit son droit sur la salle commune. Logan eut un frisson lorsque la fraicheur de l’extérieur caressa son corps mais laissa les vitres ouvertes. Ainsi, la lune les englobait tous deux de sa clarté argentine, suffisante pour se percevoir mutuellement.
Logan se détourna de la fenêtre et attrapa le fauteuil le plus proche pour le poser face à celui de Scarlett. La chaise était ainsi posée à une distance loin d’être respectable de celle de la jeune femme, le rebord touchant presque ses genoux. Mais il ne s’y assit pas. Il resta là, debout, à la regarder, à observer son visage d’obscurité. Il ne s’assiérait pas, non. Il n’était pas d’humeur à rester tranquille. Il n’était plus d’humeur à rester sagement assis sur son fauteuil à écouter Scarlett ou qui que ça soit d’autre – et Scarlett en particulier. Là, maintenant, tout de suite, il avait envie de balancer sa chaise sur une vitre.
Juste entendre le bruit du verre qui se brise. Et puis de sauter tout habillé dans le lac du parc de Glasgow Town. Il emmènerait Scarlett et ils plongeraient tous les deux. Elle voudrait lui hurler dessus mais ces mots seraient des bulles qui s’évaporeraient dans l’eau sans devenir jamais audibles.
Dis, tu aimes l’eau Scarlett ? Elle s’énerverait, le frapperait, le traiterait d’insanités et toute son âme tremblerait de rage contre lui.
Mais pourquoi ris-tu alors Scarlett ? Ce n’est pas si drôle. Arrête de sourire Scarlett, pourquoi sourirais-tu ? Ca te rend tellement immonde. Tu serais tellement plus belle si tu pleurais, Scarlett. Oh Scarlett, je te ferai pleurer.« Quelle sera ta requête, Eve ? »